mardi 16 août 2011

Présentation de l'ouvrage

Ecrire l'histoire des francs-maçons en Algérie et, en particulier, du Grand Orient de France, c'est couvrir  cent trente années de la présence française et même un peu au-delà, puisque les dernières loges ont disparu au début des années 1970 .
Ce livre n'est pas le premier à traiter de la question puisque Xavier Yacono, éminent professeur d'histoire à l'université de Toulouse, a écrit un remarquable ouvrage intitulé
« Un siècle de Franc-Maçonnerie algérienne » paru en 1969. Magnifiquement documenté, il montre l’existence de Francs-Maçons en Algérie avant même la « Conquête » et renseigne avec force détails sur les quatre ou cinq premières décennies de cette histoire maçonnique. Le premier chapitre de mon ouvrage s’appuie fortement sur cette riche œuvre universitaire.
Mais au-delà de 1880, il n’y a pratiquement eu aucune autre recherche spécifique, à ma connaissance, si ce n’est l’imposant travail de Lucien Sabah, « La Franc-Maçonnerie à Oran de 1832 à 1914 ».
Si les documents sont nombreux de la fin du 19ème siècle au début des années 1950, ils se font nettement plus rares après. Et cela tient d’abord et avant tout au départ massif de pieds-noirs  en 1962. Ils composaient l’essentiel des frères fréquentant les loges d’Algérie et leur exode précipité, en l’espace de quelques mois, n’a pas permis une sauvegarde suffisante des archives. Celles-ci ont été souvent perdues ou détruites sur place avant le grand embarquement pour la métropole. Rares sont celles des dernières années qui ont été récupérées et envoyées aux fonds d’archivage des grandes obédiences comme celui du GODF, rue Cadet à Paris. Il y a là des pertes irréparables pour la mémoire collective.
Pourtant l’espoir est encore permis. Certaines sont retrouvées alors qu’on les pensait perdues à jamais. C’est le cas, entre autres, des archives retrouvées il y a quelques années à Marseille : celles des loges « Hippone » et « Ismaël » à l’Orient de Bône (aujourd’hui Annaba) ainsi que des loges « Les Enfants de Mars » (Orient de Philippeville) et « La Fraternelle de Kalama » (Orient de Guelma). (voir annexe 1 )
Mais, dans l’ensemble, un énorme travail de recherches reste à faire. Ce livre est surtout le reflet des différents congrès régionaux et des conférences interobédientielles (Grand Orient de France et Grande Loge de France) qui se sont tenus, en Algérie et en Tunisie, entre 1880 et la fin des années 50.  Les noms sont cités jusqu’en 1940 et ils ne figurent plus après pour des raisons de discrétion, seules apparaissent les initiales. De même, les travaux portant sur le fonctionnement interne de la Maçonnerie ne sont pas évoqués pour les mêmes raisons.
Le titre rappelle que le terme « Orient » désigne le lieu où se trouve une Loge : on parlera, par exemple, de « la Loge Bélisaire à l’Orient d’Alger ».
Ce n’est en aucune façon un ouvrage sur l’histoire de l’Afrique du Nord, ni même sur celle des 132 années de présence française en Algérie. Il a pour vocation de rappeler qu’une Franc-Maçonnerie influente s’y est développée en donnant largement la parole à certains de ses membres ou de ses structures.

Si certaines réflexions et prises de position peuvent parfois surprendre, il ne faut surtout pas les juger à partir des approches maçonniques actuelles qui sont, sur la plupart des questions évoquées, assez éloignées de ce qu’elles étaient autrefois. C’est à l’aune des mentalités de l’époque qu’il faut les appréhender et tenter de les comprendre dans toute leur complexité car elles sont à replacer dans le cadre économique et administratif de la colonisation qui  pèse lourd sur les modes de pensée. Mais  les idéaux républicains véhiculés par la Franc-Maçonnerie constituent autant de percées et d’avancées qui font évoluer les analyses des situations locales et globales.
Des courants divers traversent cette maçonnerie, des plus traditionnels aux plus novateurs, avec parfois des accents révolutionnaires et toujours fortement laïques après 1877.
Peu de crises internes mais beaucoup de débats, d’échanges, de propositions de la part de ces francs-maçons qui ont tenté sincèrement et avec conviction, pendant des décennies, d’ancrer solidement l’Algérie dans la République.
Mais il s’agit bien d’une Franc-Maçonnerie coloniale par le fait que la grande majorité de ses membres sont européens et que souvent les débats reprennent les grandes questions abordées par son homologue sur le territoire métropolitain. Un de mes objectifs a plutôt été de mettre en exergue les questions spécifiques à la réflexion maçonnique appliquée à l’Algérie, parfois aussi à la Tunisie, plus rarement au Maroc.
Après la première guerre mondiale, un courant plus libéral s’est  développé mais il restera assez minoritaire bien qu’actif. Il faut d’ailleurs s’interroger sur les limites de l’influence des Loges dans le contexte colonial qui a toujours été assez lourdement  prégnant.
Peut-être ces Francs-Maçons n’ont-ils pas su peser suffisamment sur les puissants intérêts qui ont bloqué les évolutions nécessaires et ont conduit à un affrontement dont l’issue ne pouvait qu’être tragique.
Que d’idées généreuses sans lendemain ! Que d’occasions ratées ! Que d’espoirs déçus !
Près d’un demi-siècle après le retrait de la France, se pencher sur cette histoire, c’est tenter de comprendre l’étonnante histoire du Grand Orient de France, défenseur de ce d’aucuns ont appelé « un colonialisme humaniste » et qui sombra dans la tourmente de la guerre d’Algérie.                                                   

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